Le jour où j'ai compris l'utilité de la futilité

Mon entourage me répète souvent que je n'ai pas le choix, je vais être forte, ça va aller, je serai aidée et entourée etc. Et je les remercie pour leur présence et leur soutien sans faille. Mais parfois, j'ai envie de monter sur une falaise, de m'installer juste au bord, par une soirée orageuse et de crier :

"Ô rage, ô désespoir

Ô cancer ennemi !"

Mais je ne le fais pas car dans la vrai vie, je me pèterais la tronche 30 mètres plus bas et ce ne serait vraiment pas beau à voir... Mais, dans l'absolu, je suis sûre que maintenant tu visualises bien la scène.

Ouaip, j'ai un cheval pour l'occasion, on se demande même comment je suis montée là avec le canasson....

Parce que bon, je suis forte on va dire 80% du temps. Les 20% restant je suis au choix : désagréable / déprimée.

C'est en ce jour de fête des mères, le 25 mai 2014, que j'ai compris à quel point les futilités de ma vie étaient importantes. Tu crois que c'est un contresens? Tu te trompes, jeune fou.

Quand j'ai dû passer les examens où on te demande de virer tout ce qui est métallique, j'ai enlevé mes piercings (et mon bras bionique mais je préfère ne pas en parler...) (non, je déconne, il est en titane, j'ai pas besoin de l'enlever). Et ces cons (les piercings, je suis obligée de faire des rappels à cause de mes digressions) ont profité de 48h pour se refermer. Ben ça me fait chier, clairement. C'est futile, mais ça me fait chier. Je vais devoir repayer pour les refaire entre la pose du DVI (je t'expliquerai, je ne te laisserai pas dans l'ignorance, c'est une sorte de ruse pour te pousser à revenir sur mon blog afin de savoir ce que c'est. Astucieux, non ?) et le début de la chimio car, durant la chimio, il faut éviter tout ce qui peut provoquer une infection.

Quand on m'a conseillé de me couper les cheveux parce que le traitement qui m'attend les fait tomber, j'ai loupé ma tentative de m'amuser (ICI) et j'ai demandé un carré plongeant. Or, j'avais oublié qu'avec la masse de poils de tête que je ma paye, les coupes courtes ne sont pas mes amies : elles me font ressembler à Toad...

Sur lui, c'est choupinet. Sur moi, c'est moche. Alors mes proches sont adorables comme tout et me disent que ça me va "super bien"... Mais je ne suis pas encore aveugle, merci les gens. Je ne supporte plus de croiser mon reflet dans le miroir, parce que mes cheveux je les porte longs, normalement. Bref, rien qu'à l'idée que bientôt je pourrai postuler pour les pubs Madame Propre (quoi, t'es pas au courant ? Bien sûr qu'ils recherchent l'égérie des produits de nettoyage féminin qui seront la symétrie axiale de ceux représentés par Monsieur Propre ! Comme t'es trop pas au fait de l'actualité, tu crains), je déprime. Les cheveux, par rapport à la santé, c'est futile. Mais ça me fait chier. C'est comme ça.

Chaque petit détail qui peut potentiellement me contrarier dans les 20% de bad mood transforme une rivière en un océan (c'est beau, je suis inspirée, vive la poésie). Du coup, j'arrive chez mes parents et je vois qu'il n'y a que des boissons gazeuses et c'est la goutte de rivière qui fait déborder mon océan... Littéralement, je veux dire. Je pleure de désespoir parce qu'il n'y a pas d'Ice Tea ou parce que je n'aime pas le repas que ma mère prépare ou parce que mon mari ne m'a rien acheté pour la fête des mères (alors qu'il est au top tous les jours et aux petits soins avec moi, ne commence pas à envoyer des menaces de représailles à DH...) (et toi, DH, si tu lis ça, inutile de faire une danse à la Chandler).

Si je fais ce billet, c'est pour que tu saches que j'ai aussi des moments de découragement. Et je pense que ça m'arrivera encore. Heureusement, j'arrive relativement vite à me ressaisir. La question est : vais-je faire le vide autour de moi avec ces 20% ? Parce que je n'ai vraiment pas été cool mais je n'ai pas envie qu'on me pardonne tout parce que j'ai un cancer. Albert ne doit pas diriger ma vie ! J'ai pas été sympa avec mes proches ce jour-là et j'espère que si je dois encore avoir le bad mood, j'arriverai à ne pas m'en prendre à eux parce qu'ils le vivent aussi mon cancer, différemment mais ils le vivent. Et j'ai même pas trouvé une connerie à ajouter là pour te faire rire. RIP ma motivation à ne pas larmoyer. Ne larmoyons pas, mes sœurs, rions.

Bon, tu vois, au final tu pensais que j'étais une super héroïne et je suis comme tout le monde. (ah ah ah ah, tu es trop crédule, et hop je retire de ton esprit tes doutes quant à ma nature humaine et mon identité secrète est bien conservée. You fool !)