Le jour où on m'a dit que j'étais courageuse

Je me gausse, si tu le permets, parce que non, je ne suis pas spécialement courageuse. Je t'explique.

Quand tu apprends que tu as un cancer, tu as plusieurs façons d'encaisser : sombrer tout au fond et te lamenter, ou remonter tes manches et devenir féroce.

Je ne vais pas te mentir, on se dit tout toi et moi. Eh bien j'ai commencé par sombrer. Genre, le désespoir, ma vie est foutue, j'ai 32 ans, je ne peux pas avoir un cancer, je n'ai pas assez vécu, j'ai mon mari et ma fille qui comptent sur moi, bla bla bla. On est d'accord, tout ça, c'est la stricte vérité et nous donne des circonstances atténuantes, messieurs les jurés.

J'en étais au point où, après ma mammographie classée ACR5 (95% de risques que la tumeur soit cancéreuse), j'ai fait venir un médecin à domicile pour lui demander de me shooter. Anxiolytiques et somnifères au programme, de quoi m'abrutir assez pour que j'arrête de penser au cancer. Et là, ça plane pour toi, je te le dis.

Une semaine plus tard, j'avais les résultats de la biopsie qui confirmait que, non, je ne faisais pas partie des 5% de petites chanceuses qui se payaient une bonne trouille pour rien. Le gynéco ne m'a pas dit "ah ah ah ah, on vous a bien eue, en fait c'est un truc bénin qu'on va vous enlever et vous serez tranquille". J'avoue, j'avais naïvement vécu ce scénario dans ma tête. Mettons donc cela sur le dos du Lexomil, merci.

Le lendemain de ces résultats, je rendai visite à mes parents chez qui séjournait la meilleure amie de ma mère qui se bat contre son cancer du sein depuis décembre 2013. J'ai commencé par pleurer comme un bébé dans ses bras, j'avais envie de lui dire "mais merde, pourquoi nous ?" Et puis cette grande gueule m'a fait asseoir et a commencé à me parler. Et quand je dis qu'elle a une grande gueule, c'est un euphémisme (si tu passes par là, R., je pense que tu te reconnaîtras : sans rancune). Elle m'a remise à ma place illico, elle m'a donné une leçon de vie qui ma retournée. En gros, elle m'a dit "je vais pas me laisser emmerder par un cancer du sein".

Elle prend les choses avec philosophie, j'ai décidé de faire comme elle. Le lendemain, j'arrêtais le Lexo qui me donnait l'impression d'avoir fumé 10 pétards en 1h (cette comparaison ne peut être effectuée que parce que j'ai fait des recherches sur Internet, je n'ai aucune idée de l'effet d'un pétard... cela va de soi, ce message s'adresse principalement à toi, inspecteur aux stup qui passe par hasard par là, attiré par le mot-clef "pétard"). Et j'ai fait comme la généraliste m'avait dit, je cite : "Si on m'annonce un autre cancer, je mets de l'ordre dans mes papiers. Si on m'annonce un cancer du sein, je remonte mes manches et je me bats !"

Ces deux femmes ont changé ma vision de ce qui m'arrivait. Oui, j'ai un putain de cancer et j'aurais préféré ne pas en avoir un. Mais j'ai aussi une vie, je vais fighter même si à certains moments je vais en baver, là, tout de suite, me morfondre dans mon lit ne servirait à rien (bien que j'apprécie de glandouiller, ne nous leurrons pas). Je suis devenue cette grande gueule. Enfin, mes proches te diront que je l'ai toujours été, ne les écoute pas.

Je ne vais pas mentir et dire que je me sens comme Lucy in the Sky with Diamonds, nope. Mais je relativise beaucoup. J'ai des passages à vide, normal, mais je ne baisse plus les bras, je ne reste pas dans mon coin à pleurer et m'arracher les cheveux (en plus, la chimio se chargera des mes cheveux donc j'aimerais autant les préserver jusque là, tant qu'à faire).

Voilà, en résumé, j'essaie de vivre le plus normalement possible. Non pas comme si c'était le dernier jour de ma vie mais plutôt comme si c'était le premier jour du reste de ma vie. Tu saisis la différence ? Je ne vois pas le verre à moitié vide mais à moitié plein.

Donc, non, je ne suis pas courageuse, parce que je subis une situation merdique contre laquelle je ne peux rien. Mais je n'ai pas l'intention de me la jouer discrète face au cancer. Je pense que tu l'avais un peu deviné, si tu me lis... Ce n'est pas du courage, c'est une rébellion, une réplique, c'est ne pas tendre l'autre joue quand on t'en colle une. T'es pas obligée d'être aussi stoïque que Robocop, tu peux craquer, t'as le droit, mais fais de tes craquages une exception, t'es gentille. Et comme dirait Sophie, qui sait trouver les bons mots et qui se reconnaîtra si elle passe par là : je ne suis pas courageuse, je suis déterminée.

Je suis exhibitionniste, en quelque sorte, puisque je te raconte ma vie en détail sur ce blog et même sur Facebook... Mais tu sais quoi ? Parler de ce qui m'arrive, échanger avec des personnes qui ont vécu, vivent la même chose, connaissent des survivantes, t'envoient des messages d'encouragements, te soutiennent (à distance ou sur place), tout ça, c'est très important. Ne va pas t'enfermer dans une bulle à ruminer, gueule un bon coup ! Tu connais le cri primaire ? Ben vas-y, lâche-toi, t'as le droit. La vie est une pute, mais comme dirait Phillis Pine : sois pire qu'elle !

En résumé, la force des autres, c'est aussi la tienne (oui, je philosophe à mes heures perdues).